Sandrine Coulaud, accompagnatrice en montagne, sur les sommets de la Giettaz-en-Aravis avec des randonneurs en train de montrer les cîmes des Aravis avec en fond le Mont Blanc
Sandrine Coulaud révélant les secrets des Aravis, avec le massif du Mont-Blanc en toile de fond

Cette randonnée commence dans les replis verdoyants de la Giettaz-en-Aravis, affectueusement surnommée ‘la Giett’ par ceux qui en partagent l’intimité. Nous voilà à un point de départ rêvé, au cœur du Val d’Arly, pour une marche de printemps avec Sandrine Coulaud, accompagnatrice en montagne. Depuis des générations, sa famille est ancrée dans ce pays sauvage où les parois de roche abruptes défient le temps. Elle nous emmène à la découverte de son paradis naturel où la faune et la flore se dévoilent avec pudeur, sous le regard bienveillant des Aravis, du Beaufortain et du Mont Blanc.

En compagnie de Sandrine, l’expérience va au-delà de la simple marche sur les sentiers escarpés ; c’est une immersion sensible et éclairée au cœur de ces grands espaces. À ses côtés, on se met à inspecter les troncs, à observer la terre, à scruter les cimes et à lire les rivières. On en repart transformé, les yeux et l’esprit grands ouverts sur la symphonie discrète de la montagne, où chaque pas se fond dans le grand concert du vivant. Avec elle, les randonneurs deviennent un peu plus habitants de ces hauteurs et un peu moins simples visiteurs. Sandrine nous invite à changer de perspective, à transcender les apparences et à entrer en résonance avec l’âme de nos montagnes. Elle nous fait emprunter un autre chemin, celui qui mène à une étendue d’inspiration et de réflexion. Qui a dit déjà que l’immersion sensible dans les Alpes sauvages est une porte ouverte sur l’infini ?

Une guide de haute voltige

Sandrine ne le sait probablement pas, mais c’est une guide de haute voltige. Entendez par là qu’elle navigue avec aisance entre les reliefs et les émotions, en quête de cimes et de sens. Elle sait lire pour vous entre les lignes des sentiers, la prose des moyennes altitudes, et c’est pour cela que marcher avec elle, c’est embrasser l’essence même de la montagne. Dans cette station-village du Val d’Arly, hissée le long de la route qui serpente vers le Col des Aravis, elle est non seulement accompagnatrice en montagne depuis plus de 30 ans, mais également monitrice de ski, directrice de l’école de ski et peintre sur bois. Tout la recentre au cœur de la « Giett’ » et pour tous ceux qui la sollicite, elle tisse des liens indéfectibles avec la nature. Avec la montagne pour royaume, elle accompagne les pas des aventuriers et des rêveurs, des petits et des grands, à travers des chemins bordés de secrets et d’histoires que seul ce territoire peut raconter.

En traversant les forêts, en enjambant les ruisseaux et en pistant les traces, elle esquisse les contours d’un métier qui gagne à être connu : celui d’accompagnateur en montagne. Cette profession, vibrante et complexe, capture l’essence même du terme « accompagner ». Guide vigilante, protectrice avisée, éducatrice passionnée et inspiratrice enthousiaste, chaque pas qu’elle nous incite à poser se transforme en une avancée riche d’apprentissages, de rencontres et de partages. Elle nous propose un voyage à travers une palette de perceptions, où la brise des alpages, le parfum des épicéas, le murmure d’un ruisseau ou le cri d’un gypaète barbu deviennent des jalons aussi tangibles que les balises sur le chemin.

Sandrine Coulaud, accompagnatrice en montagne montrant du doigt les reliefs
Cap vers l’aventure avec Sandrine à la Giettaz
randonneurs montant de dos dans les forêts de la Giettaz-en-Aravis
L’ascension à travers le bois de Fouestarle

Marcher et comprendre

En ce jour de printemps, Sandrine a bien l’intention de transformer une simple marche en aventure sensorielle. Elle a l’habitude. Elle adore surprendre, émerveiller, captiver. Nous grimpons depuis son chalet, au travers le bois du Fouestarle vers la Croix du Ptioula. Nous sommes en plein cœur de la chaîne des Aravis, au pied d’un massif imposant qui s’élève vertigineusement jusqu’à la Pointe des Verres, encadrée par la Grande Balmaz au sud-ouest et les Parrossaz à l’est.

La progression est douce, presque méditative, alors que Sandrine s’harmonise avec le rythme serein de son groupe, assoiffé de découvertes plutôt que de prouesses athlétiques. Au fil de l’ascension, elle tisse l’histoire des lieux, brodant un patchwork de ses souvenirs d’enfance et de tranches de vie actuelles. Familiarisant ses compagnons avec la forêt, elle leur enseigne l’art de distinguer les conifères — l’épicéa de son cousin le sapin pectiné — et de déceler les signes de la régénération naturelle dans le sanctuaire boisé. Dans cette bulle de nature, elle promet une parenthèse réconfortante : une infusion d’épicéa concoctée sur place pour une pause bien méritée. Chemin faisant, Sandrine initie aux floraisons d’avril, ces étoiles terrestres émergeant, timides, du sol encore frais. Avec enthousiasme, elle partage recettes et astuces pour transformer ces fleurs en salades printanières ou en desserts gourmands, et donne quelques clefs pour reconnaître les herbes aromatiques qui affluent sous nos pas.

Sandrine Coulaud, accompagnatrice en montagne sent une fleur de printemps de nos montagnes
Un moment d’évasion parfumé
Panneau signalitique pour les randonnées depuis la Giettaz-en-Aravis
Au carrefour des sentiers

Sur une piste carrossable qui ondule à travers la montagne nous franchissons une rivière très animée. Celle-ci s’écoule d’un couloir escarpé, un canal naturel creusé par les avalanches hivernales qui s’abattent depuis les hauteurs, sculptant le paysage jusque dans la vallée. Cet endroit, marqué par le passage puissant de la neige en furie, se mue en cours d’eau, mais conserve le souvenir gravé de sa nature sauvage et impétueuse. Sandrine évoque pour nous ces avalanches qui, autrefois, déferlaient jusqu’aux portes du village, un souvenir encore palpable dans la mémoire collective. Bien qu’elles ne menacent plus les foyers aujourd’hui, on touche du doigt que leur force demeure indomptée dans ces montagnes, où elles sculptent le paysage à leur gré. Avec la sagesse des gens d’ici, elle partage les leçons d’enfance sur la prudence en montagne, quand un simple drapeau noir hissé suffisait pour garder les villageois à l’abri chez eux.

Sandrine Coulaud : mains tenant une branche de sapin en gros plan
Sapin ou épicéa ?
Randonneur avec Sandrine Coulaud traversée dle nant de fouestarle à la Giettaz-en-Aravis
Passage du nant de Fouestarle

Sur les traces du vivant

À peine le chemin épouse-t-il un virage que Sandrine annonce la pause. Elle déploie avec aisance son trépied et y ajuste sa longue-vue, nous invitant à la découverte des chamois qui habitent les hauteurs. Après quelques instants de recherche, elle en repère trois se prélassant sur le manteau neigeux. À travers la lentille, nous voici métamorphosés en observateurs privilégiés, partageant un instant de quiétude avec ces gracieux habitants de l’altitude.

Mais comme la montagne est aussi un espace de rencontre, lorsque d’autres randonneurs croisent notre chemin, c’est Sandrine qui tisse les liens, incitant au partage d’expériences. Elle écoute attentivement un couple évoquer des empreintes mystérieuses dans la neige, un peu plus haut. Ne serait-ce pas les traces d’un lynx qui vient de passer par là ?

Dans les replis secrets des sentiers et des alpages, nous suivons les indices discrets laissés par le cheminement des chevreuils. Dans leur sillage, les « laissées » d’un lièvre ou d’un lapin s’inscrivent dans la terre boueuse. Instinctivement, nous troquons nos bâtons de randonnée contre le flair du pisteur ; notre regard s’élargit. C’est une épiphanie silencieuse : nous ne faisons pas que traverser un paysage, mais pénétrons l’intimité d’une communauté foisonnante. Aux côtés de Sandrine, nous atteignons une prise de conscience : nous sommes, tout simplement, vivants parmi d’autres êtres vivants. Sensation intéressante, même captivante –ce changement de perspective. Nous sommes là, au cœur de la vie de nos montagnes, et à chaque trace discrète, nous apprenons à faire connaissance avec les résidents de ces hauteurs.

Chalet d' alpage de la Ptioula à la Giettaz-en-Aravis
Le chalet d’alpage de la Ptiouta
chamois se prélassant sur les pentes enneigées de la Giettaz-en-Aravis
Les Chamois des Aravis
Des laissées de lièvre à la Giettaz-en-Aravis
Quelques « Laissées » de lièvre

Les yeux levés vers les Aravis, dont les flancs vertigineux surplombent notre parcours, nous cherchons les silhouettes agiles des bouquetins. Ces résidents des cimes, font un retour remarqué sur ces pentes, après avoir été décimés en grand nombre à cause d’une maladie redoutable, la brucellose, dangereuse pour l’homme et pour les troupeaux. La métamorphose climatique tisse également sa toile, plongeant nos compagnons à fourrure ou à plume, lièvres variables, hermines ou lagopèdes, dans un paradoxe de couleur : leurs manteaux blancs, préparés pour l’hiver, contrastent avec les teintes automnales persistantes, écho d’un dérèglement où la neige, capricieuse, décale ses rendez-vous saisonniers. C’est un écosystème à l’équilibre fragile que nous découvrons, en marchant avec Sandrine, un sanctuaire sauvage où le temps s’inscrit dans chaque trace. Ces montagnes ne sont pas qu’une scène pour nos yeux émerveillés : elles sont le berceau d’une biodiversité façonnée à travers les âges. Et nous sommes invités à apprendre et à pratiquer le respect de ces résidents de longue date, dont nous traversons aujourd’hui l’habitat.

Sandrine Coulaud regardant les sommets avec des jumelles-vue en gros plan de profil
Scruter les cimes
Giaepete barbu volant dans le ciel de la Giettaz-en-Aravis
Vol d’un Gyapète barbu
gros plan sur les mains de Sadrine Coulaud tenant une faine de hêtre
Une faine de hêtre

Accompagner la montagne

Quand on a la montagne dans le sang, comme Sandrine, chaque action porte l’empreinte d’une vérité et d’une authenticité profondes. Pour elle, préserver ce patrimoine exceptionnel n’est pas une option mais une nécessité. Face au dérèglement climatique, ceux qui vivent la montagne à l’année font déjà preuve de résilience, réorganisant les saisons et diversifiant les activités. L’adaptabilité professionnelle des habitants de moyenne montagne, essentielle à leur quotidien, s’ancre dans leur ADN. Sandrine, imprégnée de cette polyvalence, embrasse pleinement la diversité des saisons : l’hiver l’engage dans l’enseignement du ski et dans des escapades en raquettes, tandis que le printemps l’invite à se plonger dans le réveil de la nature. Les nuits d’été, elle guide les regards vers les cieux, lors du passage de la comète Swift-Tuttle, pour une pluie d’étoiles filantes inoubliables. Avec l’arrivée de l’automne, elle organise des randonnées au cœur d’un écosystème en pleine métamorphose, où les teintes éclatantes de la forêt, les douces températures et une faune plus présente offrent une pause ressourçante. Sa pratique suggère une vision intégrée et durable du tourisme en montagne, où la coexistence des activités est fondamentale.

Être accompagnateur en montagne, c’est aussi endosser le rôle de gardien de ces massifs imposants. Et cela va bien au-delà du simple accompagnement des visiteurs à travers les sentiers ; c’est également accompagner la montagne elle-même dans son évolution et sa préservation. Ces professionnels, profondément connectés à leur environnement, jouent un rôle crucial de surveillance et de protection. Par son quotidien, Sandrine observe les changements subtils du paysage et alerte sur les risques d’érosion contribuant ainsi à maintenir l’équilibre fragile de ce territoire. En sensibilisant les randonneurs à l’importance de laisser une empreinte minimale sur leur passage, elle inculque des pratiques écoresponsables qui dessinent les contours de la montagne de demain.

Sandrine Coulaud accompagntrice en montagne nous souriant dans les forêts de la Giettaz-en-Aravis
Au coeur des bois de la Giettaz-en-Aravis
Sandrine Coulaud suivies par les randonneurs qu'elle guide dans les forêts de la Giettaz-en-Aravis
Dans le rythme de la forêt

Alors que notre escapade printanière dans le Val d’Arly touche à sa fin, une réflexion s’impose : au-delà de la belle nature et des vues imprenables depuis les pentes de la Giettaz-en-Aravis, c’est la présence de Sandrine qui a transformé cette randonnée en une véritable micro-aventure du sensible. Certes, une carte à la main et quelques indications auraient pu nous mener sur le même chemin, mais sans l’âme de notre accompagnatrice, la randonnée n’aurait sûrement pas été la même. Nous aurions sans doute moins perçu l’appel à se laisser envelopper par l’âme d’une montagne simple et authentique, dont chaque pulsation invite à un nouvel imaginaire. Ce moment partagé nous amène à questionner notre véritable capacité à voir et à ressentir la biodiversité alpine qui nous entoure. Les accompagnateurs en montagne, à travers leur pratique quotidienne, œuvrent discrètement mais efficacement pour une montagne en transition, guidant vers un avenir où la durabilité n’est pas seulement un idéal, mais une réalité vécue. En nous invitant à nous connecter de manière sensible avec ces territoires sauvages, Sandrine et ses pairs nous aident à nous sentir vivants parmi les vivants, dans un espace partagé où chaque pierre, chaque arbre et chaque être joue un rôle dans l’équilibre délicat de la montagne.

Incontestablement, cela nous ouvre un horizon : celui d’une montagne, qui ne serait pas qu’un décor ou un lieu de détente, mais une entité vivante, avec laquelle nous partageons une histoire, des défis et un avenir commun. Dans son Val d’Arly, à la Giettaz-en-Aravis, Sandrine nous enseigne que ce qui compte dans la haute voltige, ce n’est pas la hauteur atteinte, mais la profondeur de notre ressenti.

Sandrine Coulaud, accompagnatrice en montagne regardant aux jumelles les bourquetins avec les randonneurs qui l'accompagnent et avec en fond le Mont Blanc
Observer le vivant de nos montagnes