Enfant assis sur un banc dans la la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly
La Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly – un héritage précieux pour les générations futures

Surgissant entre les massifs des Aravis et du Beaufortain, le Val d’Arly s’étend comme un vaste amphithéâtre naturel. Au cœur de cette terre, où s’effacent les frontières entre la Savoie et la Haute-Savoie, les montagnes racontent une histoire ancienne. Les échines boisées et les vallées sauvages témoignent de la puissance géologique qui les a soulevées, pliées et parfois renversées, dévoilant des secrets enfouis, perceptibles à ceux qui savent lire dans les pierres. En se retirant, les glaciers ont laissé derrière eux des lacs d’eau stagnante transformés au fil du temps en joyaux naturels inestimables. C’est ici qu’est né un véritable trésor : la plus grande tourbière de montagne des Alpes.

Ce sanctuaire, aujourd’hui protégé en tant que Réserve Naturelle Régionale, est ouvert à tous ceux qui aspirent à se reconnecter avec la nature, découvrir des écosystèmes rares ou simplement profiter d’une tranquillité inégalée. Au printemps, en été comme à l’automne, chacun peut y randonner. L’hiver, elle se transforme en un petit paradis blanc pour le ski nordique. Elle est une destination à part entière, unique en Europe, une merveille à explorer sans fin.

Arpenter les chemins balisés des 300 hectares de cette tourbière revient à entreprendre un voyage dans le temps pour écouter les murmures de la terre. Chaque pas au-dessus des tapis de sphaignes, mousses primordiales et quasi-immortelles, devient un dialogue intime avec des millénaires d’histoire naturelle. Autour de vous, à travers les landes boisées, la symphonie de la vie joue ses notes les plus subtiles. Insectes extraordinaires, animaux reliques, plantes rares, champignons remarquables et lichens précieux s’unissent dans une danse harmonieuse.

La Tourbière est bien plus qu’un trésor du Val d’Arly et du Beaufortain ; elle est une fenêtre ouverte sur l’âme sauvage de notre planète, une clé vers notre avenir. S’immerger dans ce réservoir de biodiversité, c’est saisir l’essence même du vivant, de sa richesse insondable à la complexité des processus naturels qui l’ont formée. C’est aussi prendre conscience des services qu’elle nous rend. Un moment précieux à plus d’un titre, véritablement inoubliable.

Le chemin à travers le temps

Pour comprendre à quel point ce lieu est fascinant, il nous faut plonger dans les méandres du temps jusqu’à une époque où les montagnes n’étaient encore que le théâtre de forces titanesques. Il y a environ 350 millions d’années, durant l’ère hercynienne, les premières notes de ce qui allait devenir le Val d’Arly résonnaient déjà. La période du Carbonifère a sculpté des structures géologiques fondamentales, prémices des Alpes, dessinant un paysage sans cesse remodelé par les mouvements terrestres.

Alors que ces couches rocheuses reposaient, enfouies et silencieuses, un autre chapitre se prépare. Il y a 35 millions d’années, la collision spectaculaire entre la plaque africaine et eurasienne ébranle les fondations du monde. Ce bouleversement de l’orogenèse alpine déclenche une série de transformations, un chant de pierre et de terre qui se prolonge à travers les âges. Cette longue symphonie géologique franchit un seuil lors de la période quaternaire, soit 26 millions d’années avant l’époque dans laquelle nous vivons. À ce moment de l’histoire des Alpes, les glaciers, tels des sculpteurs célestes, se mettent à l’œuvre avec une précision brutale. Façonnant des vallées en U, ils laissent derrière eux des moraines, témoins silencieux de leur lente avancée et de leur retrait.

Le glacier de l’Arve domine alors ces terres, colosse glacial diffluant via les gorges de l’Arly pour rejoindre celui de l’Isère. Il recouvre notre tourbière de plus de 500 mètres de glace. Il y a 25 000 ans, cette grande épopée glaciaire approche inexorablement de sa fin. À mesure que le climat se réchauffe, le glacier perd de sa superbe, marquant ainsi le début d’une récession glaciaire. Les moraines latérales, composées de blocs calcaires et d’autres débris, ont ainsi dessiné les chemins autrefois empruntés par ces géants de glace.

Ces transformations post-glaciaires remodèlent le paysage alpin du Val d’Arly et du Beaufortain. L’érosion, attisée par des précipitations abondantes et la nature friable des roches schisteuses, sculpte des gorges profondes et des reliefs typiques. À la fin de la dernière période glaciaire du Würm, 18 000 ans avant notre ère, la fonte progressive des glaciers commence à engendrer des lacs profonds, transformant le paysage en miroirs d’eau. Dans les profondeurs de la terre, les vestiges d’époques tumultueuses se révèlent encore. Les cristallins anciens, témoins de la mémoire minérale des épisodes géologiques antiques de la croûte terrestre, recouverts de vastes plaques morainiques, témoignent des processus tectoniques et des glaciations qui ont sculpté les contours de cette terre. En se désagrégeant et en se mêlant à une matrice argileuse, ces roches métamorphiques ont contribué à la formation de sols acides et peu perméables. Datant d’environ 10 000 ans, la tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly est née.

vue d'en haut de la la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly
La tourbière vue du ciel : un paysage façonné par les ères glaciaires et les cycles de la nature

Une arche de Noé

Imaginons un instant que cette Tourbière puisse s’exprimer, qu’elle puisse narrer les secrets de son existence. Si elle en avait la voix, elle vous conterait avec emphase qu’elle est une véritable arche de Noé contemporaine, un sanctuaire où chaque recoin abrite une faune étonnante, une symphonie de vies secrètes qui se dévoilent dans le murmure des forêts et le souffle du vent.

Explorer son silence devient une aventure, rythmée par les empreintes furtives de lynx ou de loup, témoins d’une vie invisible mais indéniablement présente. Des fourmilières géantes émergent telles des forteresses animées le long des sentiers, trahissant l’effervescence d’une vie souterraine.

À la tombée de la nuit, les chauves-souris, telles la Barbastelle d’Europe et le Murin de Daubenton, s’élèvent dans un ciel étoilé en quête de proies, maîtres discrets du firmament. La Pipistrelle commune et l’Oreillard roux dessinent des cercles presque parfaits autour des points d’eau.

À l’aube, quand la réserve s’éveille en douceur, les lièvres, reliques d’un temps ancien, et les écureuils, vifs et alertes, redessinent les contours des sous-bois. Les marmottes, sentinelles des roches, sifflent dans l’ombre. Les cerfs et les chevreuils, avec la grâce qu’on leur connait, et les chamois, acrobates des pentes escarpées, animent le théâtre naturel où chaque pas résonne comme une note sur la portée de la vie.

Au-dessus, son ciel orchestre un opéra vibrant où plus de 83 espèces d’oiseaux se partagent l’azur. L’hirondelle rustique, avec minutie, construit son nid, tandis que le milan royal et le faucon crécerelle, dans un vol majestueux, découpent leur silhouette contre le bleu profond du ciel, symboles de la liberté sauvage. La chevêchette d’Europe, petite mais redoutable prédatrice, chasse les petits mammifères, affirmant son implication dans l’écosystème.

Ses bois bruissent d’une symphonie orchestrée par le pic tridactyle et la chouette de Tengmalm. La gélinotte des bois, en filigrane, trace son chemin furtif à travers les taillis, symbolisant la complexité des interactions écologiques. Le tétras lyre, le sizerin flammé et le pic noir, grands experts forestiers, jouent chacun leur partition unique.

Ce n’est pas tout car il y a une multitude de danseurs de l’air comme les libellules qui volent avec élégance perpétuant une lignée de 300 millions d’années. Elles partagent l’espace avec une myriade de papillons dont les couleurs vibrantes de jaune et de bleu captivent le regard. Parmi eux, le souci des tourbières et l’azuré de la canneberge virevoltent parmi les fleurs, rehaussés par les motifs élégants du chiffre et du nacré de la bistorte. Les reptiles, tels que le lézard vivipare et la vipère aspic, complètent cette constellation sauvage.

Dans les eaux bariolées de plantes, les arachnides comme le dolomède des marais, le triton alpestre, la grenouille rousse, et le crapaud commun tissent des liens vitaux, équilibrant les réseaux alimentaires qui connectent les mondes aquatiques et terrestres. Une salamandre tachetée peut brièvement apparaître, ajoutant une touche de mystère avec son allure luminescente.

En vérité, il faut un peu de temps pour apprendre à voir la multitude d’espèces qui habitent le refuge. Beaucoup sont patrimoniales et certaines d’une grande rareté. Cet intervalle est nécessaire pour considérer pleinement l’importance de ces êtres vivants qui trouvent ici l’Arche dans des habitats diversifiés d’une richesse exceptionnelle. Chaque moment passé à observer, écouter, s’immerger permet de mieux saisir l’importance de leur conservation, révélant progressivement le tissu interconnecté de vie qui soutient leur existence.

triton alpestre dans les eaux de la la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly
Triton alpestre dans les gouilles
Guide des paillons dans la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly
Le guide des libellules

Une mosaïque de vie végétale

Au milieu du grand paysage, la mosaïque de végétation vous enveloppe instantanément. Le sentier raciné s’entrelace à perte de vue parmi les épicéas séculaires, témoins d’une colonisation des terres qui remonte à plus de 6000 ans. Leur présence ancestrale se manifeste dans les vestiges de la tourbe. Les troncs, élancés et tortueux, avec leurs racines proéminentes, évoquent des silhouettes fantomatiques. Les branches, drapées de mousses argentées, projettent des ombres étranges sur le sol tourbeux. Les aiguilles vert sombre se fondent dans les teintes rouillées et argentées des lichens, formant un contraste saisissant avec les fougères et les mousses qui tapissent le sol à leurs pieds

Les forêts, résignées à une croissance limitée par l’acidité des sols, sont dominées par une pessière. Sapins et hêtres, en compagnie des bouleaux nacrés et des sorbiers flamboyants, confèrent un air étrange aux clairières inondées de lumière. Les pontons de bois dessinent un chemin qui serpente discrètement, préservant la tranquillité des lieux. À certains endroits, les eaux sombres miroitent le ciel étoilé, créant des reflets enchanteurs. Au détour d’un épicéa, surgissent des herbiers aquatiques, formant de petites îles de verdure flottante. Leurs feuilles, ondulent sous la surface des eaux claires, offrant un refuge à une multitude de créatures invisibles.

Les tourbières basses sont dominées par des sphaignes et des cypéracées, aux silhouettes élancées et à l’inflorescence souvent subtile. Des coussins veloutés tapissent les rochers et les troncs d’arbres, parsèment de douceur les sous-bois. Les bryophytes muent le sol en un tapis vivant aux nuances de verts et de bruns, marquant la frontière entre les hautes tourbières et les bas-marais. Les sphaignes rares forment des coussins humides, épais et accueillants. Les teintes variées proviennent des hépatiques, notamment la luxuriante calypogée des sphaignes, qui s’épanouit parmi les mousses blotties dans chaque recoin ombragé.

Les herbes hautes des mégaphorbiaies, véritables communautés végétales, ondulent au gré du vent. Elles offrent un spectacle de couleurs vibrantes, une mer de pourpre et de vert. Les landes, ponctuées de myrtilles et d’airelles, jalonnent des prairies verdoyantes où les éricacées éclatent en un festival de teintes rouges et violettes au rythme des saisons. Les prairies et les pelouses alpines, épanouies sous le soleil, déploient leurs fleurs telles des joyaux. De longues tiges élancées, couronnées de plumets délicats, saisissent la lumière, évoquant les ondulations d’un océan de brume.

Dans les sous-bois ombragés, des éclats discrets de petites étoiles blanches ponctuent par endroits le sol. Ce sont les précieuses trientales d’Europe, qui dialoguent avec les feuilles vert bleuté et les délicates fleurs roses pendantes de l’andromède. À leurs côtés, la canneberge à petits fruits s’étend, ses tiges rampantes ornées de feuilles d’un vert profond. En automne, les baies mûres des myrtilliers, brillant sous la rosée, prennent une allure presque surnaturelle.

Les champignons habitent par centaines dans ces forêts acides, où ils apprécient particulièrement de se multiplier. Sous les ombrages humides, émergent quelques perles rares : les chapeaux délicats de l’Entolome des sphaignes qui brillent tandis que les teintes rougeoyantes de la Russule aqueuse scintillent sous les rayons filtrés de lumière. Une multitude de lichens aux formes étranges et aux teintes argentées couvrent le sol et les rochers ; certains, comme le lichen des rennes, évoquent par leurs formes les coraux des mers oubliées.

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Sur les chemins racinés
les herbes hautes dans la pessière de la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly
Au travers des herbes hautes
Coussins de mousses de. la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly
Vers les coussins de mousses

Les murmures de la terre

Il y a quelque chose de puissant et de délicat dans ce havre végétal qui ouvre la voie à un voyage sensoriel et poétique. Traversant des millénaires de résilience et de diversité, il vous invite à mieux comprendre la société des végétaux. Sans aucun doute, une rencontre a lieu, permettant de faire connaissance avec une multitude de formes de vie que l’on n’aurait pas soupçonnées. 

Partir à la découverte de cette réserve naturelle située entre 1530 et 1730 mètres d’altitude, c’est entendre les battements de cœur de la terre et percevoir ses murmures à travers les âges. Sous vos pieds, les couches de tourbe se déploient comme les pages d’un livre ancien révélant l’histoire secrète du vivant. Ces strates incarnent les transformations lentes mais puissantes, orchestrées par l’eau et la vie végétale qui modèlent cet environnement si particulier.

Le site qui constitue cette Réserve Naturelle Régionale s’étend sur plusieurs communes entre le Val d’Arly et le Beaufortain. À mesure que vous progressez à travers les différents territoires, le relief change subtilement. Sur Crest-Voland, Cohennoz et Queige, les pentes douces dominent le paysage. Nourries par l’eau de pluie et la fonte des neiges qui s’infiltrent à travers roches et sols, elles accueillent des tourbières de pente. Les ruissellements acides, enrichis en minéraux, y façonnent un milieu propice à l’accumulation de tourbe, créant un substrat moelleux où prospèrent sphaignes et plantes rares, témoins d’une lente évolution millénaire.

Dans les dépressions plus vastes, là où autrefois les glaciers creusaient des lacs, les tourbières de tête de bassin versant, comme celle du site du Lac des Saisies sur la commune de Queige, racontent une histoire différente. Elles s’étendent comme des miroirs du temps, formées dans des cuvettes autrefois occupées par des lacs glaciaires. Elles sont devenues des berceaux de tourbe, des tapis denses et humides de cette incroyable matière organique. De petites surfaces d’eau persistent encore, rappelant discrètement leur origine aquatique. Quelles que soient leurs typologies, ces tourbières, nourries par les eaux stagnantes, forment un ensemble cohérent maintenant l’équilibre du biotope de la réserve.

Comment imaginer, au cœur des paysages miroitants, que la présence discrète mais essentielle de la sphaigne révèle, à elle seule, la genèse de tout l’écosystème. Cette mousse, architecte du sol tourbeux, marque le début d’un cycle de création de vie et de mort forgeant les fondations des grands marais. Actrice discrète, loin d’être ordinaire, elle témoigne d’une vitalité presque immortelle. Chaque plante de sphaigne est une galaxie d’étoiles vertes, leurs feuilles imbriquées forment une constellation complexe au-dessus de sa tige feuillée. Dépourvues de racines véritables, elles s’attachent les unes aux autres, s’étirant vers le ciel indéfiniment, tandis que leur base se décompose lentement. Elles se transforment alors en une matière riche en carbone : la tourbe.

Les sphaignes miraculeuses, véritables championnes aquatiques, possèdent des structures cellulaires spécialisées, les hyalocystes, capables de retenir jusqu’à quarante fois leur poids en eau, agissant comme des éponges de l’habitat humide. Cette aptitude leur permet de survivre là où d’autres plantes échoueraient, exécutant leur partition dans la formation et l’expansion des tourbières. Mais leurs possibilités ne s’arrêtent pas là. En se décomposant, elles se métamorphosent en tourbe, contribuant à la création d’un dépôt organique dense. Cette tourbe, s’accumulant année après année, forme des couches qui deviennent des archives naturelles.

Chaque strate est comme la page d’un livre, révélant des récits écrits il y a des milliers d’années. Les pollens et spores, transportés par le vent, piégés dans la tourbe, sont des témoins microscopiques du passé. Lorsqu’ils sont analysés par des palynologues, ces minuscules capsules temporelles dévoilent des séquences de végétation et des changements climatiques sur de longues périodes. Grâce à des techniques de sondage et d’analyse, les chercheurs peuvent reconstruire les climats passés et comprendre comment la végétation et les écosystèmes ont réagi aux variations climatiques au fil des siècles. La tourbe fait de la tourbière un chroniqueur silencieux, capturant et préservant avec soin les vestiges de notre histoire naturelle.

Sphinges sur roche dans la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly
Étoiles de mousses sur la roche
Sphinges de magellan la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly
Tapisserie de sphaignes de magellan
Sphinges baignant dans l'eau de la. la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly
Berceau aquatique de sphaignes

Une gardienne du climat

Pourquoi cet endroit préservé revêt-il une importance cruciale pour chacun d’entre nous, y compris pour celles et ceux qui le découvrent aujourd’hui ? Au-delà de son extraordinaire biodiversité, cette tourbière détient des capacités remarquables, notamment dans la gestion de l’eau. Grâce à ses propriétés uniques, elle filtre naturellement le ruissellement, élimine les impuretés et purifie les rivières qui la traverse et les nappes phréatiques environnantes. 

Mais son véritable prodige réside dans son rôle immémorial dans la régulation du climat mondial. Ce sanctuaire agit comme un gigantesque puits de carbone, réduisant les niveaux de CO₂ dans l’atmosphère et aidant à stabiliser le réchauffement climatique.

Sur des milliers d’années, des centaines d’hectares de tourbe se sont accumulés, formant des couches atteignant parfois 4,5 mètres de profondeur. Semblable à une éponge géante, elle absorbe non seulement l’eau mais aussi du CO₂. Les plantes, telles que les sphaignes, capturent ce gaz à effet de serre lors de la photosynthèse. Au fil du temps, ces plantes meurent et se décomposent lentement dans les conditions humides et anoxiques de la tourbière, où la matière organique s’accumule pour former la tourbe. Ce processus, appelé séquestration du carbone, permet de piéger et de stocker le CO₂.

Des réflexions récentes ont mis à jour que la tourbe de ce site protégé contient plus de 650 000 tonnes de matière organique, dont près de 400 000 tonnes de carbone pur accumulé sur des millénaires, équivalant à environ 1,5 million de tonnes de CO₂. Ce stockage massif joue un rôle crucial dans la lutte contre le changement climatique.

Le carbone qu’elle séquestre pourrait à lui seul être estimé comme une fortune. Les experts lui ont attribué une valeur tutélaire, conférant à cette réserve naturelle une importance économique capitale pour notre territoire, comparable à celle d’un trésor légendaire, atteignant plusieurs dizaines de millions d’euros. Mais il s’agit en réalité d’un véritable trésor écologique dont la richesse inestimable transcende de loin les simples évaluations financières.

Cependant, comme toutes les choses précieuses, sa fragilité est extrême : la dégradation de la tourbière, par drainage, extraction de tourbe ou réchauffement climatique, pourrait libérer ce carbone dans l’atmosphère. La tourbière asséchée pourrait relâcher jusqu’à 25 tonnes de CO₂ par hectare chaque année. Pour la tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly, cela représenterait une perte annuelle de plusieurs milliers de tonnes de CO₂, accélérant ainsi le changement climatique.

La préserver constitue donc un défi non seulement pour maintenir sa biodiversité, mais aussi pour continuer à bénéficier de ses services de régulation de l’eau et du climat. En conservant cet écosystème, nous assurons que ce précieux stock de carbone reste emprisonné dans la tourbe, contribuant ainsi à la réduction des émissions globales de CO₂ et aidant à atteindre les objectifs climatiques locaux et mondiaux. Bien qu’elles ne couvrent que 3% de la surface terrestre, les tourbières séquestrent davantage de carbone que toutes les forêts de la planète réunies, occupant une place majeure dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette terre ancienne, avec ses paysages enchanteurs, n’est pas seulement un lieu de beauté mais un gardien silencieux du carbone essentiel à la préservation de notre environnement.

Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly vue sur le Mont Blanc
Le Mont Blanc, gardien de la Tourbière
Sentier des Arpelières de la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d'Arly
Le Sentier des Arpelières en automne

Avec ses eaux claires comme le cristal, la Tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly est un miroir reflétant le ciel changeant des Alpes, un sanctuaire de biodiversité, une mémoire de l’histoire du territoire. Chaque feuille de tourbe est une page précieuse, manuscrite par le temps, affrontant notre réchauffement. Tous les organismes qui la façonnent, qu’ils soient producteurs, consommateurs ou décomposeurs, partagent une symbiose où chaque souffle et chaque mouvement soutient la vie de l’autre. Elle est la matrice des interdépendances qui nous lient au vivant. Elle sème dans notre imaginaire des graines de pensées qui continuent de germer bien longtemps après que nous l’avons quittée.

Si cette Réserve Naturelle Régionale est aujourd’hui protégée et aménagée pour vous accueillir en toute liberté, c’est grâce à l’implication de femmes et d’hommes œuvrant inlassablement pour sa sauvegarde et son accessibilité. Chaque jour, ils travaillent à préserver ses richesses, à percer les secrets qu’elle recèle et à l’aménager pour que chacun puisse aller à sa rencontre. En ces temps de bouleversements écologiques et de dépassement des limites planétaires, on ne peut qu’être touché par cet engagement de conservation et de partage. En préservant ce bien commun, nous assurons la pérennité de précieux écosystèmes, la séquestration du carbone et la protection d’une biodiversité rare. Véritable bastion écologique, c’est un pas de géant vers un futur durable. 

Formons ensemble le vœu que chaque visiteur, promeneur ou habitant prenne conscience de son importance et s’engage à protéger cette merveille naturelle pour ceux qui viendront après nous. Gardons nos chiens en laisse, suivons les sentiers balisés avec précaution, respectons les périodes d’ouvertures et ramassons nos déchets pour que les murmures de cette terre continuent de raconter leur histoire aux générations futures. Ainsi, vous serez les bienvenus au cœur de ce trésor inestimable de la Savoie. 

En empruntant le chemin balisé du « Sentier des Arpelières » qui traverse la tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly vous ne ferez pas qu’une belle randonnée. Vous traverserez la terre, le temps, l’histoire et le vivant. Vous irez à la rencontre d’une autre montagne qui est là, discrète et primordiale ; celle qui nous fonde et qui tisse pour nous le fil de notre avenir.