A un moment où l’identité de nos stations de montagne semble se limiter à la quantité de neige qui les recouvre, le festival de Street Art du Val d’Arly, qui s’est déroulé du 3 au 7 mars 2024, émerge comme une véritable bouffée d’oxygène. Proposant une ouverture sur la créativité de notre territoire, cette première édition remet en question les critères traditionnels de valeur et d’attrait des montagnes. Peut-être qu’au-delà de l’épaisseur du manteau neigeux, nos lieux de vie peuvent offrir une richesse différente, une richesse culturelle et artistique qui invite à la réflexion personnelle et collective. En transformant les espaces publics en toiles vivantes, en créant des galeries éphémères au cœur des stations-villages et en organisant des évènements participatifs, le festival offre une alternative à la vision consumériste du tourisme de montagne. Il nous rappelle à point nommé que ces lieux peuvent aussi être des espaces de création, d’inspiration, et de partage.
À l’occasion de cet événement inédit, on a été tenté de partir à la découverte de certains de ces artistes de Street Art, chargés de réaliser des fresques pérennes réparties dans l’ensemble de notre territoire de Savoie. Cette quête, nous a plongé au cœur du « work in progress » de ces créations et nous a fait croiser le chemin de certains d’entre eux, dans l’espoir de saisir la portée de leurs œuvres dans nos espaces de vie. L’objectif ? Éveiller la curiosité et donner l’envie d’aller à la rencontre de ces propositions artistiques, créées par des artistes qui s’expriment avec pinceaux, pochoirs ou spray, et ayant toutes comme fil rouge le cœur battant de nos montagnes. Allez, on vous emmène de Crest-Voland à Notre Dame de Bellecombe, en passant par Saint Nicolas la Chapelle et Flumet à la découverte de ces nouveaux marqueurs de notre paysage.
CRBZ et sa fresque céleste
Au cœur de Crest-Voland, où nous vivons, nous avons eu la chance de rencontrer CRBZ, le prince du calligraffiti, originaire de Lausanne. Pris sur le vif en train d’insuffler la vie à un simple transformateur haute tension, l’artiste l’a métamorphosé, en l’espace de quelques heures, en une fresque céleste. Ses traits de pinceau rivalisent d’adresse avec l’habileté des grands enlumineurs du Moyen-Âge, capturant ainsi l’azur infini du ciel alpin et la pureté d’une neige de moins en moins éternelle. Dans ce ballet visuel auquel nous assistons, les pleins et les déliés s’entrelacent et s’élèvent, tels des volutes de nuages, éveillant notre imagination et nous transportant vers de lointains horizons. Le dialogue entre l’ombre et la lumière, entre l’abstraction et la lettre déconstruite, nous invite à une introspection rêveuse. Son œuvre est un geste de liberté qui électrise soudain notre espace public et réhumanise la rue de l’Entre deux villes dans un dialogue vibrant et poétique avec les montagnes environnantes.
Ekiem et l’odyssée de la couleur
À 3 km de là, surgissant de l’ordinaire, la fresque d’Ekiem éclabousse de vie le mur de fond d’un espace caméléon, tour à tour patinoire hivernale et terrain de pétanque au centre de la station-Village de Notre Dame de Bellecombe. Ici, l’artiste joue les magiciens de la couleur, insufflant énergie et contrastes saisissants, faisant de ce recoin de village le point de mire de notre attention. Ses motifs vivants tissent un dialogue avec les saisons, faisant écho aux verts des sapins et aux bleus des ciels alpins. Sa technique, tout en lignes nettes et formes stylisées, superpose les plans et éveille la pensée, en préservant une impression de légèreté qui pulse au rythme du village.
Dans cette symphonie visuelle, les fragments de ses personnages et de ses formes, échos du passé et clins d’œil au présent, sont mixés en un « sampling » artistique. Ils nous convient à une réflexion continue, une histoire en mouvement immortalisée sur le béton. Ekiem, en virtuose du visuel, orchestre une double lecture de notre environnement : une première, instinctive et vibrante, la seconde, méditative et approfondie. C’est dans cette dualité que réside la force de cette fresque linéaire : lier l’héritage montagnard à l’impulsion ultra-moderne, donnant vie à une œuvre qui défie le temps et interroge une histoire alpine en pleine métamorphose contemporaine.
La symphonie vibratoire d’Amsted
La street artiste Amsted, que nous avons rencontrée sur les hauteurs de Saint Nicolas La Chapelle, à Marcinelle en Montagne, est une spécialiste de l’art thérapie. Elle consacre une partie de son temps à travailler dans les hôpitaux, aidant les patients dans le domaine de la psychothérapie, par une stimulation de la créativité. En face de l’accueil de cette résidence de vacances, elle nous propose un tableau urbain apaisant, une symphonie de couleurs et de formes, où le fond bleu omniprésent évoque le ciel alpin, un écrin serein pour les tourbillons vivifiants d’orange, de rose et de jaune, qui insufflent une énergie solaire à l’ensemble. Ces teintes vives, au milieu du bleu dominant, évoquent un torrent de vie et de lumière, célébrant la fluidité et le renouveau du vivant. C’est un hommage vibrant à la nature environnante et à ses cycles, un patchwork de mouvements et d’éclats chromatiques qui célèbre la richesse et la diversité de la faune et la flore. En contemplant cette fresque, on est invité à suivre les méandres de ces formes abstraites qui pourraient être des empreintes digitales de la Terre elle-même, nous rappelant ainsi l’impact de notre présence sur notre environnement et soulignant l’urgence de sa préservation.
Loks CAN ouvre une Fenêtre Poétique sur le Val d’Arly
Un peu plus loin, dans la même perspective de murs qu’Amsted, l’artiste Loks CAN offre une fenêtre figurative et poétique sur le Val d’Arly, en regardant de près notre éden de moyenne altitude où la majesté de la montagne se mêle à la fragilité de son écosystème. Comme un gardien du temps, un observatoire se dresse, nous invitant à marquer une pause, à respirer l’air pur et à s’engager activement dans la préservation de ce trésor alpin. La rose rouge, tachetée de passion, pulse au centre de la fresque, capturant l’essence du lien indestructible entre l’Homme et la nature, un rappel de l’amour éternel du Petit Prince pour sa fleur unique. Et là, dans le regard malicieux du renard, se reflète l’appel de la montagne à l’apprivoiser. Un écho subtil résonne dans notre imaginaire, soulignant que ce sanctuaire, perçu comme un joyau depuis les sommets lunaires, mérite notre égard le plus tendre et notre vigilance la plus aiguisée.
Abys2fly et Osru et leur ode onirique au Vivant
A quelques mètres de là, s’élevant sur le mur de soutènement de la terrasse du premier chalet de Marcinelle en Montagne à Saint Nicolas La Chapelle, la fresque d’Abys2fly et OSRU est une ode à la nature à travers les nuances de l’art urbain. Ils nous invitent à un nouvel humanisme plus attentif et ajusté à toutes les formes de vie. La fresque nous propose un monde où chaque élément est apprécié pour sa contribution à l’équilibre de la vie. Les lignes tracées au rouleau par Orsu incarnent une vitalité débordante, tandis que les rondeurs suggèrent le jaillissement de la vie dans sa forme la plus pure. Cette danse de formes est une représentation visuelle de l’énergie et de la vie, un tissu vivant qui se marie à l’imaginaire d’Abys2fly. Là où OSRU représente la mutation et le mouvement, Abys2fly insuffle une vitalité onirique avec son bouquetin majestueux à la fourrure végétale. Il semble veiller sur ce paysage métamorphosé, invitant à une introspection profonde sur notre rapport à la faune et à la flore environnante. Ensemble, ils créent un écosystème artistique, unissant le micro et le macrocosme dans une harmonie visuelle qui incarne le thème de la coexistence respectueuse et interconnectée du vivant.
Ophélie métamorphose un abribus en montagne
Au pied de la piste des Evettes à Flumet, un abribus s’efface pour révéler une fresque d’Ophélie Lagier, où le béton se mue en montagnes. Les sommets s’élèvent en nuances de bleus glacés et de blancs, se détachant avec force sur un fond aux couleurs de l’aurore ou du crépuscule. L’artiste, enfant du pays, capture avec justesse la dualité des Alpes, immuables dans leur grandeur, tout en suggérant leur vulnérabilité face à des changements à la fois imperceptibles et profonds.
Le dynamisme des teintes chaudes, qui embrasent les bords de l’œuvre, confère un souffle de vie, peut-être l’écho subtil des saisons qui s’entremêlent et s’altèrent. Ophélie joue avec nos perceptions en brouillant la frontière entre abstraction et figuration, à la limite de l’anamorphose. Ce lieu transformé nous interroge : il est à la fois un mémorial de la beauté évanouie et un cri vibrant pour l’action présente. C’est un rappel quotidien, tant pour les habitants que pour les visiteurs, que la beauté des cimes est plus qu’un décor, mais un patrimoine vivant à chérir et à protéger.
SID et la force de la mésange
Surplombant Flumet, là où débute le sentier pédestre menant au Lac des Evettes, une mésange géante, placée dans un contexte inattendu, imprègne de son jaune vif un réservoir d’eau. Créée par l’artiste SID (pour Suisse, Ibérique, Déterminé), reconnu pour son habileté à fusionner les mondes du graffiti, du rap et de la photographie, cette fresque célèbre en réalité la résilience des montagnes face aux défis contemporains. Inspirée par une photographie tirée d’une pétition réclamant le maintien de l’ouverture des stations de ski malgré la COVID-19, SID véhicule un message clair et puissant sur le mur de béton : même sous l’étreinte glaciale d’une pandémie, la nature et les communautés de montagne restent combatives. Drôle et colorée, la fresque fait écho à l’engagement de l’artiste pour l’environnement et les enjeux climatiques, illustrant à travers son sujet l’esprit de résistance caractéristique du Val d’Arly. En mettant en scène la mésange, vive et endurante, SID nous convie à une méditation sur notre rapport à la nature et sur les stratégies à envisager pour triompher des crises. Il met en lumière la nécessité de persévérance face aux adversités, diffusant une vague de détermination sur le passage des randonneurs et des skieurs.
Ensemble Réel face à notre devenir
Perchée sur la façade de l’immeuble « le Fauciny » de Flumet, une fresque d’Ensemble Réel s’offre aux regards, puissante et éloquente. Les deux frères artistes, dans un tour de force ambidextre, ont transformé un visage féminin en un kaléidoscope de formes géométriques et de couleurs vibrantes. Leur combinaison habile de peinture à main levée et de spray donne l’impression que le visage émerge de la paroi, vibrant d’histoires non dites. La figure déconstruite dans un style cubiste nous entraîne dans un voyage à travers la complexité de l’âme humaine, où chaque nuance et chaque segment contribuent à l’image globale, évoquant la pluralité des identités. La skieuse, fragmentée en une mosaïque de couleurs, semble contempler un futur incertain, résonnant avec les défis environnementaux de nos montagnes. Le contraste entre le décor estival en arrière-plan et la figure hivernale devient une métaphore puissante du changement climatique et de ses effets tangibles. Cette œuvre monumentale transforme le mur en conversation qui marque avec audace le paysage de Flumet d’un empreinte culturelle indélébile. Au-delà d’une simple fresque, cette création tisse un échange intime entre l’œuvre et son spectateur, où s’entremêlent l’émotion personnelle et une réalité collective, nous conviant à une réflexion assumée sur le futur de nos montagnes.
Au fil de ce parcours artistique, après avoir essayé de restituer un peu de ces œuvres de street art qui prennent vie sur notre territoire, une question vient à l’esprit : est-ce qu’un programme de fresques d’art urbain, en s’immisçant dans les ruelles et sur les murs de nos stations-villages, pourrait être l’étincelle d’un renouvellement identitaire ? C’est la proposition pertinente de ce nouvel événement. Dans leur diversité et leur expressivité, ces œuvres deviennent des miroirs, capturant non seulement ce qui nous rend uniques, mais aussi les enjeux à venir de la vie dans nos montagnes. Incontestablement elles nous interrogent : qui sommes-nous au-delà des apparences, au-delà des attentes saisonnières et des clichés touristiques ?
Ce programme artistique pérenne met en lumière comment la création peut servir de catalyseur pour le changement social, environnemental et culturel. Il participe à la réinvention de notre territoire et c’est pour cela qu’il est porteur d’espoir : malgré les défis, nous avons la capacité de réinventer nos environnements et de tisser des liens plus forts avec la montagne et entre nous. Ces œuvres, désormais accessibles à tous dans le Val d’Arly, dessinent un chemin que chacun, on l’espère, aura envie d’emprunter.
Un grand merci s’adresse d’abord aux artistes, pour leur création, ainsi que pour l’accueil chaleureux qu’ils nous ont réservé.
Nos remerciements s’étendent à la galerie PapaJosette pour avoir réalisé cette belle sélection de talents, à l’Office de Tourisme du Val d’Arly pour avoir intuitivement saisi le rôle transformateur de l’art, et évidemment, à nos maires, pierres angulaires sans lesquelles cet événement n’aurait pas pu voir le jour.
Un merci particulier est réservé à la résidence de vacances de Marcinelle en Montagne, qui a ouvert grand ses portes, offrant aux artistes invités de vastes toiles à ciel ouvert.